Loi « habitat dégradé » : la création d’un nouvel emprunt collectif !

Ce qui ne devait être qu’une loi concernant la prévention et le redressement des copropriétés en difficulté est finalement un texte bien plus ambitieux, affectant l’habitat dégradé de manière générale, et ayant des incidences jusqu’au sein des rapports locatifs. Parmi les principales mesures affectant le droit de la copropriété, on notera la création d’un nouvel emprunt à souscription collective. Nous reviendrons sur les autres modifications apportées par la loi « Habitat dégradé » dans les prochains numéros de Copropriétaires.

Loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.

De la souscription individuelle à la souscription collective

A L’heure actuelle, l’assemblée générale peut voter la souscription d’un emprunt au nom du syndicat, mais sa mise en place est strictement encadrée. En effet, l’article 26-4 de la loi du 10 juillet 1965 précise :

« L’assemblée générale ne peut, sauf à l’unanimité des voix des copropriétaires, décider la souscription d’un emprunt ou nom du syndicat des copropriétaires pour le financement soit de travaux régulièrement votés concernant les parties communes ou de travaux d’intérêt collectif sur parties privatives régulièrement votés, soit des actes d’acquisition conformes à l’objet du syndicat et régulièrement votés. »

Toute décision concernant un emprunt collectif au nom du syndicat des copropriétaires doit donc recueillir l’accord unanime de l’assemblée générale, ce qui est impossible, ou presque dans les faits. Mais le texte prévoit des exceptions. Ainsi, l’assemblée générale peut, à la même majorité que celle nécessaire aux travaux concernant les parties communes ou de travaux d’intérêt collectif sur parties privatives, voter :

– la souscription d’un emprunt au nom du syndicat des copropriétaires lorsque cet emprunt a pour unique objectif le préfinancement de subventions publiques accordées au syndicat pour la réalisation des travaux votés ;

– la souscription d’un emprunt pour financer des travaux d’économie d’énergie visés à l’article 25 al. f de la loi du 10 juillet 1965, mais à la condition que cet emprunt ne porte pas intérêt (un éco-Prêt à taux zéro par exemple) ;

– la souscription d’un emprunt au nom du syndicat des copropriétaires au bénéfice des seuls copropriétaires décidant d’y participer.

Le dispositif actuel limite donc la possibilité de souscrire un emprunt collectif au préfinancement de travaux ou, en dehors de cette hypothèse, à tous types de travaux mais uniquement pour les copropriétaires qui souhaitent participer à l’emprunt en question. Pour les autres cas, l’unanimité est requise, ce qui tend à rendre impossible la souscription d’un emprunt collectif pour le compte du syndicat. La loi « Habitat dégradé », si elle maintient le dispositif actuel, a mis en place la possibilité, pour le syndicat, de souscrire un emprunt collectif à adhésion obligatoire, l’inverse donc du système.

Présentation du nouvel emprunt collectif

La loi « Habitat dégradé » a modifié l’article 26-4 de la loi du 10 juillet 1965 et créé plusieurs articles afin de définir l’objet et les modalités de fonctionnement de ce nouvel emprunt. Ainsi, l’assemblée générale peut voter, « à /a même majorité que celle nécessaire au vote des travaux concernant les parties communes ou des travaux d’intérêt collectif sur parties privatives prévus aux a à e du II de l’article 24 et au f de l’article 25, la souscription d’un emprunt au nom du syndicat des copropriétaires pour le financement de ces travaux »\ Peuvent donc faire l’objet d’un emprunt collectif, entre autres, les travaux nécessaires à la conservation de l’immeuble ainsi qu’à la préservation de la santé et de la sécurité physique des occupants, les travaux de sécurisation (interphone, digicode…), les travaux obligatoires ou d’économie d’énergie, les travaux d’accessibilité aux personnes handicapées et ceux de suppression des vide-ordures, mais uniquement pour des impératifs d’hygiène.

Un copropriétaire qui ne souhaite pas participer à l’emprunt doit notifier au syndic son refus dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal de l’assemblée générale et à la condition de verser la totalité de la quote-part du prix des travaux lui revenant dans un délai de six mois à compter de la notification de ce procès-verbal. À défaut, le copropriétaire sera tenu par l’emprunt.

Les conditions de délai et de paiement sont ici cumulatives : le copropriétaire qui informe tardivement le syndic de son refus ou qui ne paye pas l’intégralité de sa quote-part de travaux dans les six mois qui suivent la notification du procès-verbal sera tenu par l’emprunt collectif. Il faudra donc que l’intéressé agisse avec célérité.

Ouverture d’un nouveau compte bancaire séparé et sanctuarisation des fonds versés

Les fonds empruntés sont versés par l’établissement prêteur sur un compte bancaire séparé au nom du syndicat et réservé à cet effet ainsi qu’au versement des subventions publiques accordées au syndicat des copropriétaires pour le financement des travaux à réaliser et des sommes dues par le copropriétaire ayant refusé de participer audit emprunt. Ce compte bancaire ne peut faire l’objet ni d’une convention de fusion, ni d’une compensation avec un autre compte.

Le paiement des travaux est réalisé sur présentation des factures par le syndic à l’établissement prêteur. Aucune mesure conservatoire ni d’exécution forcée ne peut être mise en œuvre sur les sommes portées au crédit du compte bancaire réservé 1 2. Le syndic sera donc tenu d’ouvrir trois comptes bancaires séparés, l’un concernant les fonds et valeurs de la copropriété, l’autre le fonds de travaux et le dernier, l’emprunt collectif.

Consultation du fichier national des incidents de paiement

Avant toute proposition d’emprunt, l’établissement prêteur peut consulter le fichier national visé à l’article L. 751-1 du Code de la consommation. Ce fichier, géré par la Banque de France, recense les informations sur les incidents de paiement caractérisés liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non-professionnels.

Le syndic devra alors, sur demande de l’établissement prêteur, fournir à ce dernier « les informations relatives au syndicat des copropriétaires nécessaires, suffisantes et proportionnées pour apprécier la capacité du syndicat à remplir ses obligations définies par le contrat de prêt. » Un décret d’application est ici en attente.

Le paiement de l’emprunt par les copropriétaires

Seuls les copropriétaires bénéficiant de l’emprunt collectif sont tenus de contribuer, chaque mois ou chaque trimestre, en fonction du montant pour lequel ils participent à l’emprunt selon la grille établie pour la répartition des quotes-parts de dépenses selon les principes prévus aux articles 10,10-1 et 30 de la loi du 10 juillet 19653 : à son remboursement, en capital, intérêts et frais éventuels de caution, au syndicat des copropriétaires et au paiement des frais et des honoraires afférents générés par le montage et par la gestion du prêt.

On notera que le législateur impose ici la périodicité du remboursement de l’emprunt, mensuel ou trimestriel, sans possibilité, a priori, pour l’assemblée générale d’opter pour un échéancier différent. À défaut de précision, l’assemblée générale statuera à la majorité de l’article 24 sur cette question. Par ailleurs, les frais et honoraires générés par le montage et la gestion du prêt concernent la rémunération du syndic pour l’ensemble de l’opération. Dans la mesure où il lui est possible de solliciter une rémunération complémentaire pour les diligences accomplies dans le cadre de l’actuel emprunt collectif à souscription individuelle, il est logique qu’il en aille de même pour ce nouvel emprunt.

Cela suppose donc une modification du contrat type et de l’annexe 2 du décret du 17 mars 1967 fixant la liste limitative des prestations exceptionnelles du syndic, sans quoi, aucun complément de rémunération ne pourra être réclamé. La charge de la contribution au remboursement de l’emprunt collectif incombe au propriétaire du lot et est transférée aux propriétaires successifs en cas de mutation, que cette dernière se fasse à titre gracieux (donation) ou onéreux (vente). Le propriétaire du lot peut toutefois verser par anticipation au syndicat des copropriétaires les sommes dont il reste redevable au titre du remboursement de l’emprunt. Elles y sont alors affectées sans délai par le syndic4.

Le cas des copropriétaires ne participant pas à l’emprunt

Le copropriétaire ayant refusé de participer à l’emprunt collectif devra s’acquitter des sommes dues au titre du « remboursement du capital et des intérêts et au paiement des frais et des honoraires ». On notera que les frais liés à la caution ne sont pas visés. En revanche, il est surprenant que le copropriétaire qui ne participe pas à l’emprunt soit tenu au paiement des frais et honoraires de gestion. Peut-être les pouvoirs publics ont-ils estimé que le fait de s’acquitter des charges par un autre moyen que la participation à l’emprunt entraînait un travail supplémentaire pour le syndic, une façon donc de le faire participer à la dépense commune.

Dès leur paiement, les sommes versées par le copropriétaire ne participant pas à l’emprunt sont affectées sans délai par le syndic au remboursement anticipé dudit emprunt. Par ailleurs, dans l’hypothèse d’une cession de lot, les sommes versées par le copropriétaire ne participant pas à l’emprunt ne donnent pas lieu à remboursement de la part du syndicat des copropriétaires. Toutefois, l’acquéreur peut consentir à verser au vendeur un montant équivalent à ces sommes en sus du prix de vente du lot5. Le législateur a repris ici la formule figurant à l’article 14-2-1 de la loi du 10 juillet 1965 sur le fonds de travaux. Sur le principe, on peut s’interroger sur l’opportunité d’une telle précision, la liberté contractuelle ne s’opposant nullement à ce que l’acte de vente puisse fixer des modalités de prise en charge, par l’acquéreur, des sommes versées par le vendeur au titre de l’emprunt.

On notera que le caractère non remboursable n’est expressément prévu que pour le copropriétaire ne participant pas à l’emprunt. Pour les autres copropriétaires, il est uniquement indiqué que l’emprunt est transféré à l’acquéreur, avec possibilité pour ce dernier de payer l’intégralité des sommes restantes (cf. supra). Peut-être le législateur a-t-il estimé que ce transfert au nouveau propriétaire excluait d’office toute possibilité de remboursement, mais il est vrai que le texte aurait mérité d’être mieux rédigé sur ce point.

Garanties et cautionnement

Afin de prévenir tout impayé, le syndicat des copropriétaires est garanti en totalité, sans franchise et sans délai de carence, par un cautionnement solidaire après constat de la défaillance d’un copropriétaire bénéficiant de l’emprunt collectif pour les sommes correspondant à son remboursement ainsi qu’au paiement des accessoires6.

Ce cautionnement solidaire ne peut résulter que d’un engagement écrit fourni par une entreprise d’assurance spécialement agréée, par un établissement de crédit, par une société de financement, par le Trésor public, par la Caisse des dépôts et consignations ou par La Poste.

Cet organisme de caution pourra également accéder au fichier des incidents de paiement précité7 Sur la mise en œuvre de l’hypothèque légale prévue à l’article 2402 du Code civil, les sommes correspondant au remboursement de l’emprunt ainsi qu’au paiement des accessoires sont assimilées au paiement des charges et des travaux. Après mise en œuvre de la caution, celle-ci est subrogée de plein droit dans l’exercice de l’hypothèque légale du syndicat des copropriétaires 8.

Absence de paiement échelonné sur 10 ans

L’article 33 de la loi du 10 juillet 1965 offre la possibilité aux copropriétaires qui n’ont pas donné leur accord à la réalisation de travaux d’en payer le coût sur 10 ans. Or, cette faculté est expressément écartée dans le cadre de l’emprunt collectif, le but étant d’éviter qu’un copropriétaire qui ne souhaite pas participer à la dépense s’exonère de l’obligation de verser dans les délais prescrits l’intégralité de sa quote-part en l’étalant sur 10 ans9. Un point de vigilance bien compréhensible mais la précision du texte paraissait superflue. En effet, d’une part, l’article 33 précité vise le paiement des travaux proprement dits et non la participation à un emprunt, d’autre part, la possibilité de paiement échelonné n’existe que pour les travaux d’amélioration. Or, cette catégorie n’est pas prévue pour la souscription d’un emprunt collectif. De fait, le recours à l’article 33 pouvait être écarté d’office.

  1. Art. 26-4 III (nouveau) Loi du 10 juillet 1965.
  2. Article 26-9 (nouveau) Loi du 10 juillet 1965.
  3.  Article 26-10 (nouveau) Loi du 10 juillet 1965.
  4.  Article 26-11 (nouveau) Loi du 10 juillet 1965.
  5. Article 26-13 (nouveau) Loi du 10 juillet 1965.
  6.  Article 26-12 (nouveau) Loi du 10 juillet 1965.
  7. Art. L. 751-2 Code de la consommation.
  8. L’article 2402 du Code civil prévoit, dans son 3°, que les créances de toute nature du syndicat des copropriétaires relatives à l’année courante ainsi qu’aux quatre dernières années échues sont garanties sur le lot vendu du copropriétaire débiteur par une hypothèque légale spéciale.
  9. Article 26-14 (nouveau) loi du 10 juillet 1965.

Conclusion

La loi visant de manière générale l’habitat dégradé et les copropriétés en difficulté, on peut s’interroger sur la possibilité pour un syndicat qui serait dans une telle situation de solliciter effectivement un emprunt collectif. Pour autant, prévenir les copropriétés en difficulté passe avant tout par la prévention de l’apparition desdites difficultés. En offrant une nouvelle possibilité de financement, le législateur entend faciliter la réalisation de travaux importants, notamment d’économie d’énergie. Mais encore faut-il que des banques proposent des produits adaptés. Or, à l’heure actuelle, ils sont quasiment inexistants…

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