Clauses non écrites en copropriété : comment les identifier et les contester ?
Quand l’implicite règne en maître : Les clauses non écrites en copropriété
La vie en copropriété est régie par un document fondamental : le règlement de copropriété. Pourtant, il arrive que des pratiques ou des usages s’instaurent au fil du temps, sans jamais avoir été formellement inscrits. Ce sont les fameuses “clauses non écrites“. Bien que leur existence puisse sembler anecdotique, elles peuvent avoir des conséquences significatives sur la vie de l’immeuble et les droits des copropriétaires. Comment les identifier ? Comment les comprendre ? Et surtout, comment les contester si elles vous semblent abusives ou illégales ?
Qu’est-ce qu’une clause non écrite en copropriété ?
Une clause non écrite, dans le contexte de la copropriété, désigne une règle ou un usage qui, bien que non mentionné dans le règlement de copropriété ou toute autre décision d’assemblée générale, est appliqué de fait par les copropriétaires ou le syndic.
Comment ces clauses émergent-elles ?
Elles peuvent naître de plusieurs manières :
- L’usage constant et prolongé : Une pratique répétée sur une longue période et acceptée tacitement par tous peut acquérir la valeur d’une clause non écrite. Par exemple, l’utilisation d’une partie commune pour un usage spécifique non prévu initialement.
- L’oubli ou l’imprécision du règlement de copropriété : Certaines situations non envisagées lors de la rédaction du règlement initial peuvent donner lieu à des interprétations ou des habitudes.
- Les décisions informelles ou tacites : Des accords verbaux ou des tolérances peuvent s’installer et devenir des “règles” non écrites.
Exemples concrets :
- L’interdiction tacite de stationner dans une cour commune non désignée comme parking.
- L’affectation informelle d’un local commun à un usage particulier (ex: local à vélos alors que non spécifié).
- Des règles concernant l’étendage du linge ou l’installation de jardinières, non écrites mais appliquées.
Il est crucial de comprendre que si certaines de ces clauses peuvent être inoffensives, voire pratiques, d’autres peuvent se révéler contraires à la loi, au règlement de copropriété, ou porter atteinte aux droits d’un ou plusieurs copropriétaires.
Identifier et comprendre l’impact des clauses non écrites
Reconnaître une clause non écrite n’est pas toujours évident. Elle se manifeste par une pratique qui fait “jurisprudence” au sein de la copropriété, même sans fondement écrit.
Comment les identifier ?
- Observation des usages : Soyez attentif aux comportements récurrents et aux règles appliquées dans la vie quotidienne de la copropriété, même si elles ne sont pas dans le règlement.
- Discussion avec les autres copropriétaires : Les anciens occupants peuvent souvent attester de l’existence de ces usages.
- Vérification avec le règlement de copropriété : Toute règle appliquée sans être mentionnée dans le document écrit doit vous alerter.
Quelles sont les conséquences d’une clause non écrite ?
L’impact peut être varié :
- Atteinte aux droits individuels : Une clause non écrite peut restreindre l’usage de votre lot privatif ou des parties communes d’une manière non prévue par le règlement.
- Création de charges injustifiées : Des usages non écrits peuvent générer des dépenses non prévues ou mal réparties.
- Conflits entre copropriétaires : Le flou juridique entourant ces clauses est une source fréquente de litiges.
- Nullité potentielle : Une clause non écrite ne peut jamais déroger à une disposition légale ou à une clause écrite du règlement de copropriété. Elle peut être déclarée nulle si elle est contraire à ces principes.
Il est primordial de ne pas accepter tacitement une clause non écrite si elle vous semble préjudiciable ou illégale. Votre silence peut être interprété comme une acceptation.
Contester une clause non écrite : Vos droits et les recours possibles
Face à une clause non écrite qui vous porte préjudice, il est essentiel de connaître les démarches pour la contester.
1. La voie amiable : Le dialogue avec le syndic et les copropriétaires
Avant toute action judiciaire, privilégiez le dialogue.
- Contactez le syndic : Expliquez votre position et demandez-lui d’inscrire la question à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale. Le syndic a l’obligation de faire respecter le règlement de copropriété et la loi.
- Discutez avec les autres copropriétaires : Si d’autres sont concernés, un front commun sera plus efficace.
2. L’Assemblée Générale (AG) : La clé de la régularisation ou de l’abrogation
C’est le lieu où les décisions importantes de la copropriété sont prises.
- Demandez l’inscription à l’ordre du jour : Faites une demande écrite et motivée au syndic pour que la question de la clause non écrite soit débattue et votée lors de l’AG.
- Vote de régularisation : Si la clause est conforme à la loi et au règlement, elle peut être officialisée par un vote en AG.
- Vote d’abrogation ou d’interdiction : Si la clause est contestable, l’AG peut décider de l’abroger ou d’interdire sa pratique. Les majorités requises varient selon l’impact de la clause.
3. Le recours judiciaire : En dernier ressort
Si les voies amiables et l’AG n’aboutissent pas, une action en justice peut être envisagée.
- Saisir le tribunal judiciaire : C’est la juridiction compétente pour les litiges de copropriété. Vous devrez prouver l’existence de la clause non écrite et son caractère illégal, abusif ou contraire au règlement.
- Motifs de contestation : Une clause non écrite peut être contestée si elle :
- Est contraire à une loi ou un décret.
- Déroge à une clause écrite du règlement de copropriété.
- Porte atteinte aux droits d’un copropriétaire sur son lot privatif ou l’usage des parties communes.
- Entraîne une répartition inéquitable des charges.
- L’importance de la preuve : Recueillez tout élément prouvant l’existence de la clause et son caractère préjudiciable (témoignages, photos, courriers, etc.).
Conclusion : Agir pour une copropriété transparente et équitable
Les clauses non écrites en copropriété sont un défi à la transparence et peuvent générer des inégalités. Comprendre leur nature, leurs implications et savoir comment les contester est essentiel pour tout copropriétaire soucieux de ses droits et d’une gestion saine de son immeuble. Ne laissez pas l’habitude l’emporter sur la légalité et l’équité.
Mots-clés :
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La principale loi qui encadre la copropriété en France et qui est au cœur de cet article est la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. C'est le texte de référence. Le décret n° 67-223 du 17 mars 1967 vient la compléter en précisant les modalités d'application.
Voyons plus en détail comment cette loi et le concept d'ordre public s'appliquent aux clauses non écrites et à la gestion de la copropriété :
L'ordre public : Un principe fondamental en copropriété
Le principe d'ordre public est essentiel en droit français. Il signifie que certaines règles sont considérées comme tellement importantes pour l'organisation de la société qu'elles s'imposent à tous, y compris aux contrats et aux règlements internes.
Dans le cadre de la copropriété, cela implique que :
- Le règlement de copropriété ne peut pas contredire la loi : Même si les copropriétaires votent une clause ou une pratique, elle est nulle si elle est contraire à une disposition d'ordre public de la loi de 1965.
- Les clauses non écrites n'ont aucune valeur si elles dérogent à la loi : C'est un point crucial de notre article. Une pratique, même ancienne et acceptée, ne peut pas s'imposer si elle viole une règle légale impérative.
Application de la loi de 1965 aux clauses non écrites
La loi de 1965 vise à organiser et sécuriser la vie en copropriété. Plusieurs de ses articles sont d'ordre public et impactent directement les "clauses non écrites" :
- Le règlement de copropriété (Article 8 et 9)
- Article 8 : Il impose l'établissement d'un règlement de copropriété qui doit préciser les droits et obligations des copropriétaires, la destination des parties privatives et communes, et les modalités de leur jouissance. Ce règlement est la "loi" interne de l'immeuble. Toute clause non écrite qui contredirait ce règlement ou une de ses dispositions expresses serait en principe nulle, à moins qu'elle ne vienne combler une lacune de manière licite.
- Article 9 : Cet article garantit le droit de jouissance des parties privatives. Il dispose que chaque copropriétaire use et jouit librement de ses parties privatives et des parties communes, sous la condition de ne pas porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble. Une clause non écrite qui restreindrait de manière excessive ou non justifiée ce droit de jouissance (par exemple, interdire une activité légale dans un appartement sans motif légitime) pourrait être jugée abusive et nulle car contraire à l'ordre public de l'article 9.
- L'assemblée générale (Articles 14 et suivants)
- Article 14 : Il stipule que le syndicat des copropriétaires est la personne morale qui gère l'immeuble. Ses décisions sont prises en assemblée générale. C'est d'ordre public : une décision importante pour la copropriété ne peut pas être prise en dehors d'une AG régulièrement convoquée et votée selon les majorités légales. Une "clause non écrite" qui serait en réalité une décision importante prise de manière informelle n'aurait aucune valeur juridique car elle n'aurait pas respecté les procédures de l'AG.
- Articles 24, 25, 26 : Ces articles définissent les majorités de vote requises pour les différentes décisions en AG (majorité simple, absolue, double majorité...). Ces règles sont d'ordre public. Si une clause non écrite tente d'instaurer une règle qui devrait normalement être votée en AG avec une majorité spécifique, mais qu'elle ne l'a jamais été, elle est inopposable et peut être contestée.
- Le rôle du syndic (Article 18)
- Article 18 : Il définit les missions du syndic. Parmi celles-ci, l'une des plus importantes est de faire exécuter les dispositions du règlement de copropriété et les décisions de l'assemblée générale. Le syndic ne peut donc pas laisser s'installer ou encourager des pratiques contraires au règlement ou à la loi, même si elles sont "non écrites". S'il le fait, sa responsabilité peut être engagée.
- Les charges de copropriété (Articles 10 et 10-1)
- Article 10 : Il dispose que les copropriétaires sont tenus de participer aux charges entraînées par les services collectifs et les éléments d'équipement commun, et aux charges relatives à la conservation, à l'entretien et à l'administration des parties communes. La répartition des charges doit être définie par le règlement de copropriété en fonction de l'utilité objective pour chaque lot. Une clause non écrite qui modifierait cette répartition de manière illégitime ou qui imposerait une charge non prévue par le règlement ou la loi serait nulle et pourrait être contestée.
- Article 10-1 : Cet article est également d'ordre public et précise que les clauses du règlement de copropriété contraires aux dispositions des articles 6-2 (partie privative), 8 (règlement), 10 (charges), etc., sont réputées non écrites. C'est un point capital pour votre article ! Il donne une base légale solide pour contester directement une clause, qu'elle soit écrite ou non, si elle viole ces principes d'ordre public.
En résumé : La force de la loi face à l'usage
Face à une clause non écrite, le principe est clair : la loi prime sur l'usage. Si une pratique, même établie depuis longtemps, contredit une disposition d'ordre public de la loi de 1965 ou du règlement de copropriété, elle est illégale et un copropriétaire a le droit de la contester.
SOURCES
- Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis :
- Lien Legifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000880018/
- C'est le texte principal et le plus important. Tous les articles que j'ai cités (Art. 8, 9, 10, 10-1, 14, 18, 24, 25, 26) se trouvent dans cette loi.
- Décret n° 67-223 du 17 mars 1967 pris pour l'application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis :
- Lien Legifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000880053/
- Ce décret complète la loi de 1965 en détaillant les modalités pratiques de son application, notamment en ce qui concerne le fonctionnement du syndic, la tenue des assemblées générales, etc. Il est indispensable pour une compréhension complète du régime de la copropriété.
Ces deux textes sont les piliers du droit de la copropriété en France et sont régulièrement mis à jour. Legifrance est la source officielle et fiable pour le droit français.
Voici les liens directs vers les articles spécifiques de la Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis sur Legifrance :
- Article 8 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000880200/ (Ce lien mène à la page principale de la loi, mais l'article 8 est bien visible et accessible depuis le sommaire sur la gauche.)
- Article 9 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000039313535/
- Article 10 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000043977284/
- Article 10-1 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000039313543/
- Article 14 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000039313545/
- Article 18 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000049398867/
- Article 24 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000047299294/
- Article 25 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000039313590/
- Article 26 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000039313599/
Pour le Décret n° 67-223 du 17 mars 1967, le lien direct est celui de l'ensemble du décret, car Legifrance ne propose pas de liens individuels pour chaque article de ce texte de la même manière :
Décret n° 67-223 du 17 mars 1967 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000880053/