Loi Kasbarian : Quel impact réel sur les locataires et le logement social ?
La loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, dite loi Kasbarian-Bergé ou plus communément “loi anti-squat et anti-loyers impayés”, a été présentée comme un texte visant à protéger les propriétaires face aux impayés de loyers et à l’occupation illégale de logements. Cependant, depuis son entrée en vigueur, son impact sur les locataires, en particulier ceux du logement social, et sur l’équilibre du marché locatif suscite de vives inquiétudes et de nombreux points de friction.
Un renforcement des droits des propriétaires… à quel prix ?
L’objectif affiché de la loi Kasbarian est clair : accélérer les procédures d’expulsion en cas d’impayés de loyers et de squat. Parmi les mesures phares, on trouve la réduction des délais de procédure, la suppression du délai de grâce “systématique” pour les locataires de mauvaise foi, et la pénalisation accrue du squat. Pour de nombreux propriétaires, notamment les petits bailleurs, ces dispositions sont perçues comme une juste reconnaissance de leurs droits et un moyen de sécuriser leurs investissements. Ils y voient une réponse à la complexité et à la lenteur des procédures existantes.
Cependant, cette “sécurité” pour les propriétaires se traduit souvent par une pression accrue sur les locataires. La loi instaure une clause de résiliation de plein droit du bail en cas d’impayés, rendant l’expulsion quasi-automatique et ne laissant que peu de marge de manœuvre au juge pour apprécier la situation du locataire. Cette disposition, couplée à la criminalisation du squat qui peut concerner des personnes en situation de grande précarité, tend à créer un climat d’insécurité pour les occupants de bonne foi mais fragilisés.
Le logement social sous tension : des locataires vulnérables davantage exposés
Le parc social, par définition, accueille une population aux revenus modestes ou précaires. C’est précisément cette population qui se trouve être la plus vulnérable aux effets de la loi Kasbarian. Un imprévu (perte d’emploi, maladie, accident de la vie) peut rapidement faire basculer un foyer dans l’incapacité de payer son loyer. Avec la loi Kasbarian, les marges de manœuvre pour éviter l’expulsion sont considérablement réduites.
Les associations de défense des locataires et les acteurs du logement social alertent sur plusieurs points :
- Accélération des expulsions : Le raccourcissement des délais et la simplification des procédures d’expulsion risquent d’augmenter le nombre d’expulsions locatives, jetant à la rue des familles entières, y compris celles avec enfants.
- Pression sur les accompagnements sociaux : Les bailleurs sociaux, qui ont souvent un rôle d’accompagnement social, se retrouvent face à des situations plus urgentes et des délais plus contraints. Cela complexifie leur mission de prévention des impayés et de recherche de solutions amiables.
- Stigmatisation des locataires : La loi tend à durcir l’image des locataires en difficulté, les assimilant parfois à des “mauvais payeurs” ou des “squatteurs”, alors que les impayés sont souvent le symptôme de difficultés sociales ou économiques plus profondes.
- Risque d’aggravation de la crise du logement : En augmentant le nombre de personnes sans solution de logement, la loi pourrait paradoxalement aggraver la crise du logement et la saturation des dispositifs d’hébergement d’urgence.
Des points de friction majeurs et des voix qui s’élèvent
La loi Kasbarian est loin de faire l’unanimité. Des voix s’élèvent, notamment du côté des associations de défense des droits humains, des fondations œuvrant pour le logement des plus démunis (comme la Fondation Abbé Pierre), et même de certains professionnels du droit. Leurs critiques portent principalement sur :
- Le déséquilibre entre les droits des propriétaires et la protection des locataires : Nombreux estiment que la loi penche excessivement du côté des propriétaires, au détriment du droit au logement et de la dignité des personnes.
- L’absence de mesures d’accompagnement : La loi se concentre sur la répression des impayés et du squat, sans proposer de véritables mesures d’accompagnement social, de prévention des difficultés ou de solutions alternatives au relogement.
- La criminalisation de la misère : La transformation de l’occupation illégale en délit (y compris en cas de “maintien” dans les lieux après la fin du bail) est perçue comme une criminalisation de la précarité et une atteinte aux principes fondamentaux de l’État de droit.
En conclusion, si la loi Kasbarian a pour ambition affichée de sécuriser le parc locatif, son application soulève de sérieuses interrogations quant à ses conséquences sur les locataires, en particulier ceux du logement social. Loin de résoudre les problèmes de fond liés aux impayés ou au mal-logement, elle risque d’aggraver la précarité de milliers de foyers, accentuant les inégalités et les tensions sociales autour du droit fondamental au logement. Un rééquilibrage semble nécessaire pour que la protection des propriétaires ne se fasse pas au détriment de la dignité et de la sécurité des locataires les plus fragiles.
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